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Enquête : les nouvelles technologies en campagne

Les TIC (Technologies d’Information et de Communication) ont conquis l’espace rural français et, grâce à elles, de nombreux salariés ont décidé de se mettre au vert. Un phénomène d’ampleur qui participe au renouveau des campagnes mais qui reste encore peu étudié au niveau national.

En haut de la page d’accueil du site du comité de tourisme du Val d’Oise, les photos panoramiques défilent : le château d’Auvers-sur-Oise, Enghien-les-Bains ou ses voisines Cergy-Pontoise, Argenteuil… Le tourisme d’affaire a droit à son onglet vantant l’importante activité économique du département,  la proximité de Paris et surtout la présence de Roissy-Charles de Gaulle.
Plus bas, apparaît le traditionnel « Mentions légales » et après avoir cliqué dessus,  s’affiche le nom et l’adresse de la société conceptrice du site : Laëtis – Solutions internet et multimédia – place de l’église – 12 120 Arvieu.

Arvieu, c’est un petit village de 250 habitants situé dans l’Aveyron, département à l’économie essentiellement agricole.  C’est là qu’en 1998 se sont installés Vincent Benoît et deux de ses compagnons d’études lyonnaises dans le but de créer leur société  de créations de sites internet. Lui est originaire d’un autre village aveyronnais, situé  à quelques dizaines de kilomètres.« A la base, notre conviction  était que les nouvelles technologies pouvaient nous permettre de choisir notre lieu de vie, se rappelle-t-il, aujourd’hui âgé de 37 ans. Nous, nous voulions travailler à la campagne et prouver que cela ne nuirait pas à notre reconnaissance professionnelle. Ce qui n’était pas gagné d’avance, peu de gens y croyaient…».

Le maire d’Arvieu est l’un des rares élus locaux à soutenir leur projet et leur offre un soutien logistique. Les trois associés aménagent  dans une partie des locaux d’un ancien couvent, mis à disposition gratuitement pendant les deux premières années. Leur aventure multimédia en milieu rural peut commencer. Laëtis est née.

Aujourd’hui, la société montée en Scop emploie 15 salariés et a obtenu l’an dernier, grâce à la réalisation de www.tourisme-aveyron.com, le premier prix du site touristique français le plus innovant décerné par le magazine L’intern@aute. Le pari des co-fondateurs est réussi.

Les TIC pour sauver les campagnes ?

A l’image des membres de Laëtis, de plus en plus d’entrepreneurs ont décidé de privilégier le vert au gris des grandes agglomérations depuis l’arrivée progressive des nouvelles technologies dans les campagnes françaises à la fin des années 1990. Sébastien Cote, commissaire des Ruralitics, les universités d’été des TIC pour les Territoires, confirme le phénomène par l’observation du solde migratoire, devenu positif dans les territoires ruraux depuis les cinq dernières années. Pour lui,  il est indéniable qu’il existe un impact numérique : « De plus en plus de couples entre 30 et 40 ans s’installent en milieu rural et parmi leurs premières exigences, après l’école et la santé, c’est la connectivité.  Aujourd’hui, plus le numérique s’installe dans nos territoires enclavés, plus des familles viennent vivre à la campagne et créent des entreprises. Un système global se met en place. » Pourtant, aucune étude sur le rapport entre le numérique et l’emploi en milieu rural n’a été menée à ce jour par la Datar (Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale) ou le ministère de l’Economie numérique. Un constat que regrette fortement Sébastien Cote.

Bruno Moriset est  responsable du projet Discotec (DIStant COmmunication TEChnology  and the Economy of Cognition in peripheral areas),  lancé par l’Agence Nationale de la Recherche, et dont l’objectif consiste à proposer différentes solutions  pour réduire les inégalités de développement de l’économie numérique entre les territoires. Il déplore également l’absence d’étude nationale sur le lien entre l’emploi et les nouvelles technologies en milieu rural mais tient à relativiser. « Elles n’ont pas joué le rôle de « sauveur » car les campagnes françaises ne sont plus à sauver depuis longtemps !  L’exode rural est terminé depuis les années 1990, analyse-t-il. D’autres secteurs comme le tourisme ont participé principalement à son essor ces dernières années. Et vous savez, une flambée de l’immobilier en zone urbaine peut inciter nettement plus les gens à s’installer à la campagne que les nouvelles technologies. »

Cependant, selon Bruno Moriset, il est certain que les TIC ont permis la création d’emplois en milieu rural. Il se base sur des observations à dimension régionale et prend l’exemple du projet Solo Soho dans le Gers. Soho comme Small Office-Home Office, soit : « Petit bureau – Bureau à la maison ». La mission principale de cette initiative financée par l’Union Européenne  est  de favoriser  l’accueil et l’installation des télétravailleurs indépendants. Résultat : 122 emplois créés depuis 2008, 300 nouveaux habitants et  4000 euros fiscaux par an recueillis pour chaque nouveau télétravailleur accueilli, selon les chiffres de la Chambre de Commerce et d’Industrie du département.

Des bénéfices qui dépassent la seule création d’emplois

L’importance du rôle des collectivités figure à ce stade comme le constat majeur de l’enquête Discotec, réalisée entre 2009 et 2011 dans le quart sud-est de la France. « Nous sommes dans un monde capitaliste et il n’est pas possible d’obliger des entreprises à s’installer dans les campagnes, tient à rappeler Bruno Moriset. Les élus doivent surtout soigner leur politique d’accueil grâce à l’existence de nombreux services, en améliorant par exemple les infrastructures et la vie associative. » Vincent Benoît, le créateur de Laëtis, se plaît à jouer de la métaphore pour confirmer les propos du chercheur : «Je prends souvent l’exemple d’une plante qui a besoin d’un terrain fertile pour pousser. Si le village d’Arvieu n’avait pas eu les conditions adéquates pour nous accueillir, l’aventure se serait terminée rapidement. Je pense surtout aux nombreuses associations qui existaient déjà. L’un de mes associés, originaire de Dijon, s’est retrouvé président du comité des fêtes deux ans à peine après être arrivé ici. C’est comme ça que nous nous sommes sentis rapidement intégrés. » Aujourd’hui, certains des membres de Laëtis continuent à apporter leur savoir-faire technique en matière de communication lors des fêtes locales. De nouveaux projets apparaissent aussi, tel celui de créer un réseau de commercialisation local des produits des agriculteurs du coin.

Pour Claudine Bru, la maire actuelle d’Arvieu, les bénéfices liés à l’arrivée de Laëtis dépassent la seule création d’emplois. Dans les mois qui suivirent leur installation, certains des « néo-ruraux » aidèrent à la création d’un cyberespace municipal. A ce jour, il accueille en moyenne une vingtaine d’habitants de la commune par semaine qui se forment à l’univers du net. Et parmi eux, des femmes d’agriculteurs comme Claudine qui y suivent des formations professionnelles via la Chambre des Métiers. Devant le bâtiment ouvert depuis 2007, elle tient à mettre en avant un autre atout de ce nouvel équipement. « L’été, ça fait venir de nombreux touristes qui séjournent au lac de Pareloup à une dizaine de kilomètres d’ici. Quand ils viennent, ils font souvent quelques courses en même temps et ce sont les commerçants arvieunois qui en profitent. »

Claudine Bru : 

Travailler en milieu rural n’est plus considéré comme un handicap

Autre résultat notable de l’enquête Discotec, la localisation de l’entreprise loin des grands pôles de consommation ne représente même plus un handicap pour les entrepreneurs interrogés. 36 % d’entre eux perçoivent la ruralité comme un atout, 44 % n’y voient ni avantage ni inconvénient. Selon Vincent Benoît, ces atouts sont simples : « En ville,  on n’aurait pas pu vivre avec nos salaires de départ et les charges d’entreprises sont nettement supérieures. » Et d’ajouter : « Nous sommes aussi compétents que nos concurrents mais deux fois moins chers que des entreprises parisiennes. Et avec internet, nous sommes parfaitement accessibles. »

Quant à la capacité à attirer des salariés en milieu rural, cela ne semble également pas poser de problèmes : «Nous avons un taux de  réussite de recrutement de presque 100 %. Nous voyons peu de candidats, mais quand nous les rencontrons, c’est la plupart du temps une réussite. De plus, nos salaires aujourd’hui restent souvent comparables à ceux de la région toulousaine, ce que bien des personnes ne s’imaginent pas. »

Mais, malgré le portrait flatteur dressé jusque là, la photographie n’est pas dénuée de défauts. En cause surtout : les contraintes techniques liées à la situation géographique. A Laëtis, l’ADSL est pour l’instant suffisant mais on cherche à développer son débit et sa fiabilité pour que les outils de télétravail restent compétitifs. La solution pourrait passer par la fibre optique qui, en France, ne couvre à ce jour que les zones densément peuplées.

Le gouvernement a lancé l’an dernier six projets pilotes, associant collectivités et opérateurs, pour amener le très haut débit hors des grandes agglomérations. La fibre figure actuellement comme la technologie la plus performante dans ce domaine mais sa pose nécessite beaucoup de temps et reste très coûteuse. Parmi les communes choisies figure celle d’Aumont-Aubrac en Lozère et pour son maire, Alain Astruc, l’enjeu est des plus importants : « Avec ce nouvel équipement, j’espère que nous allons accueillir une nouvelle population, développer le télétravail et attirer peut-être d’autres entreprises au niveau national qui auront envie de venir sur notre territoire. »  Nouvelles technologies et emplois en milieu rural, deux domaines à nouveau étroitement liés et dont l’influence mutuelle semble décidément mériter une véritable étude nationale…

Non d’un Ciotaden !

A La Ciotat, certains voient d’un mauvais oeil les projets mijotés du côté du port de Marseille. La reconversion souhaitée pourrait faire de l’ombre à l’activité économique locale.

Lundi 22 novembre 2010, Palais du Pharo, Jean-Claude Gaudin fait l’éloge de la politique économique menée par sa municipalité à l’occasion du lancement de la semaine thématique « Marseille, un emploi pour tous ». « Le port a besoin d’un nouveau souffle. Il doit étendre et diversifier son champ d’action (…) en l’orientant vers la réparation navale de haute plaisance. » Il n’est pas sûr qu’un habitant de La Ciotat figurait dans l’assistance. Si tel était le cas, il n’aurait certainement pas accueilli ce discours avec grand enthousiasme.

Pour Michel Ducros, le constat est clair : « Il y aura un chantier de trop ». Michel Ducros, c’est accessoirement le fils de Gilbert Ducros, le fondateur de la fameuse entreprise d’épices, mais aussi le président de Monaco Marine. Société au service du plaisancier (entretien des bateaux, peinture, mécanique, vente…), elle fait partie de celles qui ont permis de relancer l’activité économique du port de La Ciotat. Selon lui, il ne peut exister deux ports aux vocations identiques distants seulement d’une trentaine de kilomètres. Pour la petite ville s’étalant aux pieds des falaises du Cap Canaille, le coup pourrait être très dur.

Une reconversion difficilement acquise

C’est que La Ciotat revient de loin. Elle ne mérite pas seulement d’être connue pour sa gare où fut filmée sa célèbre arrivée du train par les frères Lumière mais également pour son histoire ouvrière. 1986 : le ministre de l’industrie Alain Madelin annonce la fin des financements publics provoquant la fermeture des chantiers navals. Les chantiers navals, ce sont les poumons économiques de la ville. Et ce depuis le quinzième siècle.

Pour les ouvriers, pas question de se laisser faire. Occupation de l’usine, séquestration de responsables ou blocage d’une étape cycliste du Paris-Nice… Mécontents du traitement du conflit par France 3, les « 105 irréductibles » vont même jusqu’à suspendre plusieurs jours le véhicule d’une équipe de la chaîne à une grue du chantier naval comme le raconte Dominique Franceschetti. La lutte portera ses fruits plus de dix années après. Début 2000, La Ciotat devient l’un des premiers chantiers de haute plaisance en Méditerranée, avec Gênes et Barcelone.

La contestation ouvrière, le port de Marseille l’a connaît actuellement. Dockers, grutiers, marins de la SNCM… beaucoup manifestent à tour de rôle ou ensemble pour des raisons diverses. Mais en toile de fond plane toujours, selon eux, la menace d’une reconversion du port marseillais vers le « tout tourisme ». L’activité industrielle serait alors concentrée sur Fos. Une situation qui rappelle étrangement celle vécue par les ouvriers ciotadens…