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« Le mouvement ouvrier est totalement oublié »

Entretien paru le 24 septembre 2012 dans Sud Ouest

Sorti en février 2012, le documentaire « De mémoires d’ouvriers » sera projeté cette semaine pour la première fois en Charente. Demain à Barbezieux, mercredi à Cognac et jeudi à Chasseneuil. Chaque soir, sa diffusion sera suivie d’un débat en présence d’un des personnages du film, Henri Morandini. Le réalisateur Gilles Perret nous présente ce documentaire et revient sur des éléments d’histoires parfois étonnamment oubliés.

Votre film part de l’histoire ouvrière de la Savoie mais prend ensuite une dimension plus universelle Pouvez-vous nous expliquer comment s’opère ce passage ?
Dans mes documentaires, j’ai l’habitude de prendre un exemple local, ce qui arrive à mon voisin, puis d’essayer d’élargir la problématique au monde en général. Ici, le monde ouvrier et l’arrivée de l’électrométallurgie dans les Alpes après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans cette phase de reconstruction de la France avec la création notamment d’EDF notamment, l’objectif était de faire de cette région un réservoir énergétique car le pays avait des besoins énormes. Aujourd’hui, ce ne sont plus que les secteurs du service et du tourisme qui comptent et le monde ouvrier est complètement oublié, à l’image de ce qui se passe un peu partout en France.

Il a fallu attendre cette année pour que Ambroise Croizat soit dans le dictionnaire »

Le documentaire commence cependant dès le début du XXe siècle…
Oui, en 1904, avec la grande grève de Cluses (Haute-Savoie) où des patrons d’entreprises ont tiré sur des ouvriers qui manifestaient. Il y a eu trois morts et plusieurs blessés. C’est un événement important de l’histoire sociale qui est aujourd’hui complètement méconnu. Même à Cluses où je me suis aperçu que presque personne ne connaissait cette histoire. Un autre exemple est celui d’Ambroise Croizat, ministre communiste issu du monde ouvrier et qui a créé, entre autres, la Sécurité sociale juste après la Seconde Guerre mondiale. Il a fallu attendre jusqu’à 2012 pour que son nom soit enfin dans le dictionnaire.

Vous-même, vous êtes issu du monde ouvrier.
Oui, je suis fils d’ouvrier et il m’est donc important de transmettre cette histoire sociale pour que l’on sache d’où l’on vient. C’est un enjeu mémoriel. Le monde ouvrier, c’est six millions de personnes, soit 23 % des actifs en France. Or, il est totalement dénigré et sous-représenté parce que les acteurs de la classe politique et des médias sont de moins en moins issus de cette classe sociale.

Vous avez utilisé beaucoup d’images d’archives. D’où proviennent-elles ?
Elles sont tirées notamment de la cinémathèque des Pays de Savoie et de l’Ain et illustrent les années 1970, mais aussi la période d’avant-guerre. Il y a également des films d’entreprises des années 80 qui véhiculaient le besoin de modernité et la nécessité de libre  concurrence comme vecteur de progrès. Je me rappelle les avoir vu quand j’étais étudiant mais je ne me rendais pas compte alors du message de ces films.

Trois questions à Henri Morandini, ouvrier d’usine

Entretien paru le 25 septembre 2012 dans Sud Ouest 

Henri Morandini est l’un des personnages qui témoignent dans le documentaire « De mémoires d’ouvriers » de Gilles Perret. Il accompagne régulièrement le film lors de ses présentations dans les salles de cinéma pour dialoguer avec le public.

Tout d’abord, pouvez-vous nous présenter votre profession actuelle et l’usine dans laquelle vous travaillez ?
Je suis ouvrier électricien au service d’entretien de l’entreprise Alcan Arc, fabricant de produits abrasifs à partir de corindon, à La Bâthie depuis trente-huit ans. Cette usine existe depuis la fin du XIXe siècle et, à l’image de beaucoup d’entreprises, elle a changé à de nombreuses reprises de propriétaires. Nous 160 employés et l’entreprise appartient actuellement à High Capital, un groupe d’investissement américain.

Comment avez-vous rencontré le réalisateur Gilles Perret ?
C’est un concours de circonstance. Il avait tourné un documentaire « Du métal et des hommes » à l’occasion du 150e anniversaire du rattachement de la Savoie à la France dont l’un des volets était consacré à l’industrie dans la région. C’est par le biais de l’historien savoyard Michel Etiévent que nous avons fait connaissance et que Gilles m’a demandé de participer à ce film.

Quelle est votre vision actuelle du monde ouvrier ?
Le monde ouvrier existe toujours, mais il est très peu représenté. Quand on évoque la Savoie par exemple, on parle tourisme, raclette ou agriculture mais jamais de l’industrie. Or, si ce département est riche actuellement, c’est aussi grâce aux ouvriers.
Ce film leur donne la parole et son intérêt principal d’ailleurs, c’est qu’il est accompagné de débats un peu partout en France. Il suscite ainsi un nouveau dialogue. Pour le film, nous avons eu également des discussions très intéressantes avec de jeunes ouvriers.