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Marseille : portrait du Merlan aux reflets divergents

Des cités théâtres de règlement de compte, cela paraît chose commune. Une cité qui abrite un théâtre labellisé scène nationale, c’est moins ordinaire. C’est le cas du Merlan, quartier situé dans le 14e arrondissement de Marseille. L’occasion d’aller sur place se faire une idée plus précise de la vie de ce quartier.

« Ici, c’est comme ce que racontent les médias. La drogue, les bagarres… Tout ça, c’est du quotidien. » Quentin, 25 ans. « Ici, ce n’est pas comme ce qui est dit dans les médias… » Asma, 16 ans. Les premières phrases de deux acteurs parmi tant d’autres de la cité du Merlan, au cœur des quartiers Nord de Marseille. Asma, Quentin : deux visions diamétralement opposées. L’un a-t-il raison, l’autre tort ? Bien malin celui qui peut se faire un point de vue tranché dans un lieu aux habitudes de vie et aux spécificités difficilement perceptibles.

Ce jour, l’atmosphère paraît des plus paisibles. Certaines personnes attendent tranquillement le bus, d’autres se dirigent vers le centre commercial. Seuls quelques bruits de travaux viennent perturber le calme régnant sur la cité. Selon Quentin, ici c’est le soir que tout devient différent… En attendant, les rues sont quasi-désertiques dans ce quartier de 9000 âmes environ où le taux de chômage avoisinait les 16 % en 2006.

Avec sa 2×2 voies, l’avenue Salvador Allende vient délimiter la partie sud du quartier. Via un long tunnel, elle passe sous un bâtiment gris haut et imposant : le centre urbain. Le centre urbain, c’est un peu le poumon principal du Merlan. Construit dans les années 70, il est dominé par un Carrefour avec ses fidèles galeries marchandes. Plus bas, y sont logés divers services : l’annexe de la mairie, une bibliothèque… et un théâtre.

Asma est une habituée des lieux. Vu de l’extérieur, le Théâtre du Merlan, classé scène nationale -la seule à Marseille- se rapproche davantage du bunker que de l’opéra italien. Zora, chargée des relations publiques au sein de la structure et habitante du quartier, approuve ces considérations esthétiques et les généralise à l’ensemble de la cité. « Le projet urbain a complètement oublié les habitants. Une nouvelle fois, aucune consultation n’a été menée par les politiques. »

La spécificité d’un théâtre au sein d’un tel quartier ? « Le fait d’être ici amène un projet atypique, précise Bertrand, collègue de Zora. Notre but est de créer un lien continuel avec les habitants du quartier. » Et notamment les jeunes. Ils représentent 40 % de la population, la tranche de zéro à vingt ans : 20 %. Zora se rappelle : « Quand ils venaient au théâtre les premières fois, ils avaient l’impression que tout le monde les regardait ! ». Aujourd’hui, pour certains d’entre eux, le lieu est presque devenu « leur deuxième maison. »

Echos dissonants dans le quartier

Au pied du théâtre, le long de l’avenue Allende qui s’en va vers la mer, se succèdent barres d’immeubles verticales et barres horizontales avec une certaine disparité. Le linge pend aux balcons, les devantures des quelques commerces présents sont pour la plupart fermées. Sur les hauteurs, vers le nord, un bâtiment parallélépipédique rouge se distingue. Construit depuis peu, il regroupe différents services sociaux, accueil RSA, mission locale ou antenne régionale d’insertion, où transitent chaque jour des dizaines d’employés.

A deux cents mètres de là, Jean-Pierre, boulanger installé ici depuis vingt-six ans, n’est pas le dernier à se plaindre. « Beaucoup d’investissements ont eu lieu ces dernières années mais les élus ont oublié les commerçants. Par exemple, ils auraient pu nous aider à nous installer à côté du nouveau bâtiment qui a été construit ! » Il a vu beaucoup de ses voisins commerçants pliaient boutique et se considère comme l’un des derniers résistants. Jean-Pierre compte cependant quitter le Merlan dès la retraite venue. Après avoir servi un jeune d’une dizaine d’années venu demander de la monnaie et parti sans s’encombrer ni d’un bonjour ni d’un au revoir, il poursuit, désabusé. « Vous voyez, avec le chômage, c’est ça l’autre principal problème : le manque de respect. »

Ce n’est pas autre chose que dit Quentin, quelques mètres plus loin. Le manque de respect permanent : voilà ce qu’il observe au quotidien. Quentin travaille dans un centre de formation professionnelle des métiers du son. Son directeur compte déménager dès que possible. Pour lui, le constat est sans demi-mesure : le Merlan est le pire quartier de Marseille. « On a essayé de travailler avec les jeunes mais ce n’est pas possible. Il n’y a pas d’avenir ici, rien n’est positif et ça ne changera jamais. » Et de citer en exemple : « Un soir, nous avons organisé un concert sur la place devant le centre. Résultat : les musiciens ont reçu des œufs et des tomates ! » Nous apprendrons par la suite de la bouche de Jean-Pierre que le directeur du centre, propriétaire de nombreux locaux dans le quartier, est très jalousé.

Quentin et Asma, deux visions diamétralement opposées donc. Elle est actuellement en stage au centre social des Flamants et suit une formation de secrétariat. « Je ne ressens pas d’insécurité. Les médias exagèrent beaucoup la situation dans nos quartiers. » Pour elle, le principal problème, c’est « ça », nous dit-elle pointant le doigt vers l’extérieur. Dehors, on entend le bruit assourdissant d’une moto. Elle se plaint légèrement des garçons qu’elle trouve parfois « bizarre », souffre un peu du manque de filles dans la cité. Oui, il y a des bagarres mais, le plus souvent, c’est à cause de détails, d’histoires de filles justement… Elle, ce qu’elle retient surtout, c’est la solidarité qui existe au Merlan. « Nous avons tous grandi ensemble et l’ambiance est très familiale. J’aime vivre ici. »

Asma, Quentin, Jean-Pierre, Zora… Autant de personnages rencontrés, autant d’impressions différentes. Et on se doute qu’elles seraient encore un peu plus diverses si l’on devait continuer davantage la découverte de ce quartier…

 

Homosexualité : « Saint-Etienne est une ville qui a appris à accepter la différence »

Publié dans La Gazette de la Loire-Juin 2011

Philippe Chastel et Frédéric Morlot s’occupent du festival Autrement Gay et travaillent tous deux à l’Espace Boris Vian à Saint-Etienne. Philippe Chastel, 45 ans, en est le directeur alors que Frédéric Morlot, 25 ans, vient tout juste de s’installer à Saint-Etienne. Tous deux nous livrent leurs impressions sur le fait d’être gay dans une ville comme Saint-Etienne.

 

Est-il difficile d’afficher publiquement son homosexualité à Saint-Etienne ?

Frédéric Morlot : Moi je suis originaire de Roanne et depuis que je suis arrivé à Saint-Etienne, il y a quelques mois, ça se passe relativement bien. J’ai un copain et on peut se balader main dans la main dans la rue. Bien sûr, on a droit parfois à quelques réactions, à des coups de klaxons mais c’est rare. Les gens ne font pas attention en général. Il y a une certaine banalité qui s’est instaurée. Même à Roanne, je n’ai jamais eu de problèmes. Depuis quelques années, ça a changé grâce à la télé notamment où désormais les homos sont montrés comme des personnes à part entière, fondues au milieu des autres.

Phillipe Chastel : J’ai tendance également à dire que ça se passe bien mais c’est quand même pas gagné. Pour les filles, ça commence à aller. Des couples peuvent se tenir la main dans la rue sans que cela pose problème. Quand ce sont des garçons, c’est plus compliqué et on peut avoir droit à des moqueries. Mais ce genre d’agressions verbales est plus fréquent dans le monde de l’entreprise que dans la rue et ça on n’en parle pas assez.

Il y a eu pourtant des agressions homophobes récemment…

P. C. : Je pense que les agressions au mois de novembre étaient liées aux propos du groupe Sexion d’Assaut. Elles ont eu lieu quelques jours après et ce n’est pas une coïncidence à mon avis. Mais ces évènements ont eu cependant des conséquences positives. Cela a permis aux  différentes associations de défense des droits et à la mairie de travailler ensemble. Le mouvement qui a obligé le groupe à annuler ses concerts est parti de Saint-Etienne. Un livret contre l’homophobie vient d’être créée par le Conseil consultatif de la jeunesse et une charte d’éthique est en voie. Le maire s’est engagé et a permis par exemple que les cérémonies de Pacs puissent se passer à l’hôtel de ville et non pas dans une salle quelconque du tribunal.

F. M. : À Saint-Etienne, il n’existe pas de quartier homo comme à Lyon par exemple où les homos habitent pas mal autour de l’Opéra. A Saint-Etienne, c’est plus mélangé et du coup on se fond davantage dans la masse. Tout le monde se respecte.

« Avoir 20 ans à Saint-Etienne et être gay, ce n’est pas simple »

P. C. : Ici, c’est vrai que ce n’est pas comme à Paris où certains gays ne vont chez le médecin seulement s’il est gay par exemple… Je pense que la configuration et l’histoire de la ville de Saint-Etienne y fait beaucoup. La population homo y est acceptée car c’est une ville très métissée, qui a connu des vagues d’immigrations successives du fait de son passé minier. De plus, c’est une ville étudiante qui donne ainsi un bon équilibre sociétal. Saint-Etienne est une ville qui a appris à accepter la différence.

En ce qui concerne la vie nocturne, êtes-vous satisfaits de l’offre stéphanoise ?

P. C. : C’est vrai qu’il existe peu d’endroits où sortir à Saint-Etienne. Tout le monde va à Lyon où il existe un nombre établissements important. Par exemple, une ville comme Clermont Ferrand a une offre plus importante car c’est un chef-lieu régional qui attire les homos de toute la région. Il y existe deux boîtes homos par exemple. Et c’est la même chose partout en France. Ainsi il n’y pas plus d’établissements à Saint-Etienne qu’à Bourg-en-Bresse ou à Valence. Tout se passe à Lyon. D’ailleurs à Saint-Etienne, il n’existe  pas d’établissements complètement homo. Ils sont mixtes car sinon ils auraient du mal à en vivre.

F. M. : Je ne sors pas beaucoup dans le milieu gay. Je fais davantage des soirées chez moi où avec mon groupe d’amis à Roanne… comme tout le monde ! Et on va dans des endroits où tout le monde va. Je sais qu’à Lyon, il existe des bars où seuls les homos sont acceptés et d’autres où les filles sont refusées par exemple. Cela n’existe pas à Saint-Etienne.

« Le délai pour porter plainte contre des propos homophobes est plus court que celui concernant des propos racistes »

P. C. : Beaucoup de gays et lesbiennes n’ont pas besoin de se retrouver dans des endroits spécifiques. Cela dépend de ce que l’on recherche. Je crois que la plupart sont comme Frédéric et moi, ils s’invitent entre eux et font des soirées chez eux, comme tout le monde en fait. Je pense que plus on va dans des lieux réservés aux homos, plus on se démarque et moins on va dans l’acceptation des autres.  Il est cependant important qu’existe des endroits comme le Zanzi Bar à Saint-Etienne qui est attire une certaine tranche d’âge car je pense qu’avoir 20 ans à Saint-Etienne et être gay, ce n’est pas simple. A Lyon, c’est plus facile.

Que pensez-vous d’un événement comme la Marche des fiertés ?

F. M. : Je ne vais pas y participer cette année. Je l’ai fait une fois mais je trouve que c’est trop communautaire et que ça ne sert pas complètement la cause car cela ne permet pas de s’intégrer. Attention, je ne dis pas que ça ne doit pas exister et je pense même que c’est important que ça existe car sans cela, nous n’en serions pas arriver là. Mais il ne faut pas s’arrêter à ce type de démarche.

P. C. : Pour ma part, je suis ni pour, ni contre… C’est un excellent moyen pour militer, plus il y aura de monde, plus cela fera avancer le mouvement homosexuel donc c’est utile.  Mais je me sens moins militant qu’engagé. Je ne revendique pas un droit supplémentaire parce que je suis gay mais je demande simplement être considéré comme n’importe quelle personne. En revanche, quand je pense au fait que le délai de prescription pour porter plainte contre les propos racistes est de douze mois alors qu’il n’est que de trois en ce qui concerne les propos homophobes, là ça vaut le coup de descendre dans la rue.

Saint-Etienne : quand prévention rime avec communication

Paru dans la Gazette de la Loire-Juin 2011

La Direction départementale de la sûreté publique organisait jeudi 9 juin une opération de dépistage de stupéfiants auprès des automobilistes stéphanois.

« De toute façon, tout ça c’est à cause de vous ! ». Assis sur le trottoir, devant l’hôpital Bellevue, ce jeune motard s’en prend aux médias présents. Il vient d’être arrêté dans le cadre d’une large opération de contrôle de stupéfiants menés jeudi 9 juin par la DDSP et attends que les policiers vérifient ses papiers. Il est vrai que caméras et journalistes sont nombreux autour du procureur de la République Jean-Daniel Regnauld et du directeur départemental de la sûreté publique Jean Christophe Bertrand. Un responsable de l’opération ne s’en cache pas, l’un des objectifs est médiatique : « Le but est que les gens sachent que ce genre de contrôle existe, pour qu’ils connaissent les conséquences de tels délits ». Soit deux ans d’emprisonnement, 4500 euros d’amende et une suspension du permis en cas de contrôle positif aux stupéfiants.

Une quinzaine de policiers ont été réquisitionnés pour l’opération. L’un d’entre eux avoue que ce genre d’opération est quand même occasionnel, « une ou deux fois par an ». « Cela va changer avec la nouvelle loi Loppsi 2  qui permet une intensification des contrôles de ce type », certifie M. Jean-Daniel Regnauld. Ainsi, le procureur peut dorénavant mettre en place de sa propre initiative un dépistage préventif.

« Vous êtes stressé ? »

Des tests salivaires sont  appliqués auprès de certains conducteurs.  L’opération va durer deux heures à raison de quinze minutes environ par test. On commence à faire la queue au pied de la camionnette où se déroule le prélèvement salivaire. Résultat au terme de l’opération : aucun contrôle positif aux 4 substances recherchées (cannabis, amphétamine, cocaïne, et opiacés).

Aucun dépistage positif mais d’autres infractions relevées : oubli de papiers du véhicule, défaut d’assurances, pneus lisses et l’occasion de présenter le policier comme un fin pédagogue. « Vous comprenez Madame, c’est très important que vous ayez vos papiers. Si vous avez un accident et que vous perdez connaissance, comment on fait pour savoir qui vous êtes ? ». Un plus tard, d’autres ont droit à moins de prévenance. A un jeune motard visiblement pas très à l’aise, un policier ne l’amène pas à plus de sérénité avec un « Vous êtes stressé, Monsieur ? » encore plus déstabilisateur. Finalement, il n’aura rien d’autres à se reprocher que l’absence de ses papiers. D’autres, de leur côté, ont un peu la tête en  l’air, sans doute impressionnés par tout le dispositif : « Eh Madame, n’oubliez pas d’attacher votre ceinture avant de partir ! ».